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Vers une filiation qui n’aurait de « filiation » que le nom


Dans son rapport du 15 janvier 2019, la Mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique sort l’accès à la PMA du champ de l’infertilité médicale qui la cadre, et ouvre ainsi le champ des possibles. Elle propose donc sa solution pour établir la filiation d’un enfant qui serait le fruit du désir d’un couple de femmes ou d’une femme seule, ayant eu recours à un tiers donneur : la filiation d’intention.

Rappelons les bases de la filiation, aujourd’hui, en France, pour les couples homme-femme qui ont recours à une insémination artificielle avec tiers donneur. Pour la mère, il suffit que son nom apparaisse dans l’acte de naissance pour que la maternité soit établie. Pour les pères, deux cas de figure. Si le couple est marié, la filiation paternelle s’établit automatiquement, le mari est présumé être le père de l’enfant. Si le couple homme-femme n’est pas marié, le père doit faire une reconnaissance pour établir sa paternité (avant ou après la naissance). Enfin, un dernier cas de figure est apparu depuis la loi Taubira (2013) autorisant l’accès de l’adoption aux couples de même sexe * : la filiation d’un enfant né de l’une des deux femmes à partir des gamètes d’un tiers donneur (PMA réalisée à l’étranger). Celle-ci s’établit via une demande d’adoption faite par la femme qui n’a pas porté l’enfant (la « mère d’intention » ou « mère sociale »).

 

« Un changement de paradigme du droit français »

La solution de filiation de Jean-Louis Touraine, inspirée du rapport Théry-Leroyer de 2014, est l’objet d’une proposition à part entière, la douzième (p. 85). Au nom de la suppression « des situations discriminatoires et des inégalités entre les couples », Jean-Louis Touraine expose trois solutions dans son rapport et tranche pour la création d’un nouveau mode d’établissement de la filiation applicable à tous les couples bénéficiaires d’un don de gamètes (AMP avec tiers donneur), couples homme-femme ou lesbiens : une « déclaration commune anticipée notariée » qui serait transmise à l’officier de l’état civil « au moment de la déclaration de naissance de l’enfant » ; elle « figurerait en marge de la copie intégrale de son acte de naissance ». Ceci nécessiterait la création d’un titre VII bis dans le livre Ier du code civil. Nous nous retrouverions ainsi face à « un changement de paradigme du droit français », voire, selon les propos du Pr. André Lucas dans le rapport, à « une révolution (…)[, un] travail considérable (…), [une] inversion totale de perspective »…

 

L’art de déplacer les limites

La proposition de Jean-Louis Touraine rompt avec la vraisemblance et la présomption sur lesquelles repose aujourd’hui le droit commun de la filiation (hors adoption). La vérité biologique de référence serait remplacée par une vérité « sociologique ou affective » et le droit évoluerait alors vers une « filiation de la volonté ». Or « accepter désormais dans la loi le parent d’intention, c’est-à-dire selon son vouloir, c’est accepter qu’un jour, (…) il puisse ne plus vouloir », pointe Agnès Thill dans sa contribution à la mission (p. 357). « Je suis de l’avis de nos experts juristes qui nous demandaient de ne point toucher [au droit de la filiation] », poursuit-elle, rappelant ainsi que Jean-Louis Touraine a pris certaines libertés par rapport au contenu des auditions. « La parenté fondée sur le projet parental aboutira à la multiparenté », prévient d’ailleurs l’avocat Geoffroy de Vries, cité dans le rapport (si le consentement au projet parental a été « vicié »). En créant une « mère d’intention », la proposition de Jean-Louis Touraine dé-sémantise le mot « parent », qui vient incidemment de faire l’objet d’un amendement allant dans le même sens (voté à l’Assemblée le 12 février). Un amendement par ailleurs foncièrement injuste pour l’énorme majorité des enfants tout simplement nés de leurs parents…

 

Le jeu des extrêmes

La solution de Jean-Louis Touraine « agite la famille LGBT », selon les journalistes du magazine Têtu. À côté des associations concernées qui saluent des enfants nés du don ainsi tous mis à égalité, comme l’Association des familles homoparentales (ADFH), SOS Homophobie, s’oppose à la levée de l’anonymat du don de gamètes. D’autres groupes revendiquent toujours plus. L’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) s’oppose à cette proposition qui instaurerait « la stigmatisation des enfants nés de PMA ». En effet, une déclaration commune anticipée (DCA, qui sous-entend un « mode de conception » différent) serait accolée à l’acte de naissance, tandis que les enfants nés de leurs parents n’auraient, logiquement, pas de DCA. Cela constitue pour eux une « ségrégation des personnes en fonction de leur mode de procréation » et une « atteinte inadmissible à la vie privée et à la liberté individuelle »… Pourquoi l’APGL fait-elle d’une réalité une discrimination ? Derrière ce déni, une visée extrémiste pose que tout ce qui définit l’identité est potentiellement discriminatoire… Notons en outre que des associations de parents ou d’enfants nés de PMA sont aussi divisées quant à la levée du secret sur la conception des enfants inhérente à la proposition 12.

 

Arguments flous et droit évolutif

Les cinq arguments avancés par Jean-Louis Touraine pour justifier que la loi Taubira ne peut être maintenue en l’état concernant la filiation d’un enfant voulu par deux femmes ne sont guère convaincants (voir p. 79 et 80). Il avance notamment le fait qu’« accessible aux seules femmes unies par les liens du mariage, [cette option] porte une atteinte excessive à la liberté de choisir son statut matrimonial ». Primo, il nous semblait que les couples de même sexe avaient fait du mariage un de leurs combats ; deuzio, c’est aussi valable pour les couples hommes-femme adoptants qui, à notre connaissance, n’ont jamais crié à l’injustice ; injustice pour les uns, justice pour les autres ? Autre argument, « elle crée un risque d’insécurité juridique pendant le temps écoulé entre la naissance de l’enfant et le prononcé de l’adoption » ; autrement dit, les femmes peuvent se séparer entre les deux…

Le moteur du rapport de la Mission, c’est le progrès de la science (manipulation du vivant) qui nécessite le déplacement du cadre actuel, soutenu par un arsenal législatif. Un progrès qui utilise une idée contraire à l’intérêt général : faire de l’exception une règle. Une arme qui se sert du fossé entre droit (général) et justice (cas particuliers), et qui se nourrit d’influences supranationales. Mais que devient l’exception quand elle devient la règle ? Que se passera-t-il en cas de nouvelle pression d’une nouvelle catégorie d’individus qui fera valoir son droit à avoir une fille par exemple ?

 

À retenir

L’inféodation de la loi au désir individuel est sans limites et sert des enjeux plus grands.

 

* Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, qui a conféré aux couples composés de personnes de même sexe le droit de se marier et a autorisé l’adoption plénière de l’enfant du conjoint.

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