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Pelerin : « Le recours aux mères porteuses peut-il être éthique ? »


Le 3 août, le Conseil d’État a ordonné au ministère des Affaires étrangères de laisser entrer en France un enfant né en Arménie d’une mère porteuse. Si la gestation pour autrui (GPA) est interdite en France, au nom du principe d’indisponibilité du corps humain, elle est autorisée notamment aux États-Unis, en Ukraine ou en Grèce, où peuvent donc se rendre des couples français désirant avoir un enfant par ce biais.

Pour ses opposants, la GPA est une marchandisation du corps et transforme l’enfant en produit. Pour ses défenseurs, si elle est encadrée par la loi pour éviter les dérives, comme c’est le cas en Grande-Bretagne*, la maternité de substitution peut être un acte altruiste. Alors, toute GPA est-elle forcément condamnable ? Une GPA encadrée peut-elle devenir éthique ? Nos débatteurs en discutent.

* La loi interdit par exemple aux mères porteuses d’être rémunérées. Elles sont toutefois « dédommagées », d’une somme allant parfois jusqu’à 15 000 livres (près de 20 000 €) selon l’association Surrogacy UK.

7 500 € D’AMENDE, ET SIX MOIS D’EMPRISONNEMENT

C’est la sanction dont sont passibles, en France, les personnes ayant recours à une mère porteuse.

TUGDUAL DERVILLE : « ON NE DONNE PAS UN ENFANT »
Délégué général d’Alliance VITA, auteur du Temps de l’Homme (Éd. Plon).

Le mot éthique n’est accolé à la GPA que pour connoter positivement une pratique injuste. Derrière toute forme de gestation « par » autrui, il y a la programmation d’une rupture originelle entre une femme et l’enfant qu’elle porte. Cette rupture est plus grave que les autres scandales de la GPA, comme sa dimension commerciale. Pourquoi ? Les interactions entre une femme et l’enfant qu’elle porte sont extrêmement sensibles, précieuses, riches. La science n’en finit pas de découvrir la complexité et même le mystère de ce qui se noue dans cette période de vie intra-utérine. Il y a quelque chose de l’ordre du déni du réel à prétendre qu’on peut escamoter ce moment ou, plus précisément, provoquer d’une manière indolore cette rupture par un contrat qui engage la femme à livrer à des commanditaires celui qu’elle aura porté.

C’est pourquoi il n’y a pas de différence fondamentale entre une GPA qui aurait comme mobile la misère, comme on le voit dans certains pays pauvres, et une GPA qu’on prétendra éthique ou altruiste : les mobiles des mères porteuses ne peuvent être qu’ambivalents. Une GPA ne peut pas être « altruiste » car mon enfant ne m’appartient pas. Ce sont les choses que l’on donne ou que l’on vend, pas les personnes. Un enfant ne donne pas sa mère « par altruisme » à un autre enfant qui en serait privé.

Dans certaines situations dramatiques, une femme peut être amenée à confier son enfant à l’adoption : il s’agit de réparer, sans nier la souffrance. C’est l’inverse avec la GPA : elle ne répare pas un drame, elle le provoque ! Les promoteurs de la GPA mettent en avant la souffrance des couples, qui désirent un enfant. Or, les grands désirs risquent d’anesthésier la conscience. Toute société se construit en régulant les désirs des forts, qui se font tyranniques au détriment des faibles.

CAROLINE MÉCARY : « NON, LES MÈRES PORTEUSES NE SONT PAS EXPLOITÉES »
Avocate au barreau de Paris. Spécialisée dans la défense des personnes homosexuelles, elle a soutenu des couples qui ont eu recours à des mères porteuses à l’étranger.

C’est clair, la gestation pour autrui (GPA) peut être éthique. Il est impératif de rappeler que la GPA est un mode de procréation reconnu par l’OMS, avec l’insémination artificielle et la fécondation in vitro. Les opposants à la GPA aujourd’hui en France s’inscrivent dans un débat ultradogmatique. Les protagonistes sont caricaturés : les parents d’intention seraient d’affreux « exploitateurs », l’enfant serait une chose que l’on achète et la femme qui porte l’enfant, une pauvresse contrainte de « louer » son utérus. Ces mots extrêmement violents sont très éloignés de la réalité.

Le postulat de départ des opposants, selon lequel une femme qui accepterait de porter un enfant pour un autre couple serait obligée de le faire, est faux. Légaliser la GPA en France implique un encadrement législatif fondé sur le libre choix de la femme qui accepte un tel don. Le législateur peut, par exemple, décider de mettre en place une autorité publique chargée de contrôler la mise en place de la GPA. En son sein, un comité d’éthique composé de médecins, de psychiatres, de parents ayant déjà eu un enfant par GPA, de mères porteuses, examinerait la demande des couples. La GPA se fera nécessairement sur la base du volontariat. Les frais induits par la grossesse seraient remboursés, comme en Grande-Bretagne, au Canada, en Belgique. Donc oui, on peut penser une GPA éthique, avec une réglementation qui garantirait le consentement éclairé et la liberté de tous ceux qui y participent.

Quant à la question du lien biologique entre la mère porteuse et l’enfant, personne ne nie son existence. Mais réduire la parenté à cette seule dimension biologique, c’est effacer l’humanité qui passe obligatoirement par les mots, par le soin qui est donné à l’enfant une fois qu’il est né, et par l’histoire qui lui est racontée. L’humanité n’est pas réductible au biologique, elle passe nécessairement par la parole.

SYLVIANE AGACINSKI : « DANS 98 % DES CAS, LA GPA FAIT L’OBJET D’UN ÉCHANGE COMMERCIAL »
Philosophe, auteure de Corps en miettes (Éd. Flammarion).

Une GPA ne peut être éthique. Aucun encadrement législatif ne saurait « minimiser les dégâts » d’une pratique foncièrement injuste. Il faut prendre conscience de l’extrême violence sociale et morale de la GPA : violence faite a priori à l’enfant, traité comme un produit de commande et une marchandise ; violence faite aux femmes dont la vie organique est utilisée comme un moyen de production. Une GPA consiste à louer le ventre et la vie d’une femme pendant neuf mois pour « récolter » l’enfant qu’elle a porté et mis au monde. On attribue ensuite à l’enfant une autre mère – ou pas de mère du tout, si les commanditaires sont des hommes.

La GPA, qui emploie les femmes économiquement les plus fragiles, repose sur un contrat privé, selon lequel une femme cède à autrui l’usage de son corps. Elle cède ensuite l’enfant dont elle est la mère biologique (car elle assure le développement biologique de l’embryon, même si elle ne lui a pas donné ses propres gènes). Elle cède enfin le lien de filiation qui unit un nouveau-né à celle qui en a accouché. Sauf le cas rarissime d’une GPA pratiquée entre parents (une femme pour sa sœur ou pour sa fille), qui pose d’autres problèmes, la plupart des femmes acceptent un tel contrat contre de l’argent.

Dans plus de 98 % des cas, la GPA fait l’objet d’un échange commercial dont les bénéfices financiers considérables vont à des intermédiaires (médecins, agences recrutant les « mères porteuses », avocats chargés de rédiger les contrats). Mais, commerciale ou non, la maternité de substitution est, de toutes les façons, contraire aux droits humains, du seul fait qu’elle confond les personnes physiques avec des choses échangeables.

Il est aussi honteux de parler de « GPA éthique » que de parler d’esclavage « éthique ». Il faut donc travailler à l’abolition de la GPA.

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