« Les Echos » ont fait débattre l’obstétricien et gynécologue René Frydman et la psychanalyste Catherine Bergeret-Amselek sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes. Entre ces deux observateurs, beaucoup de désaccords de fond et quelques rares points de convergence.
Adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 15 octobre dernier, le projet de loi de bioéthique qui arrivera au Sénat en janvier ouvre la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes. Un sujet sensible qui continue à diviser. Pour le grand obstétricien et gynécologue René Frydman, qui a permis la naissance en France, en février 1982, d’Amandine, premier « bébé-éprouvette », cette ouverture va dans le sens de l’histoire et ne peut qu’être approuvée. Psychanalyste et essayiste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, Catherine Bergeret-Amselek, dont les travaux portent notamment sur les crises d’identité féminine (« Le Mystère des mères », « La Femme en crise », tous deux chez Desclée de Brouwer), est beaucoup plus réservée. Rencontre.
Le 21 septembre, trois jours avant l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale, l’Académie de médecine a publié un avis disant que « la conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure qui n’est pas sans risque pour le développement psychologique et l’épanouissement de l’enfant ». Qu’en pensez-vous ?
René Frydman : L’Académie de médecine oublie juste de préciser que, cinq ans plus tôt, elle avait déjà publié un premier avis sur cette même question, fondé sur des études scientifiques, et que celui-ci allait dans le sens de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Cette phrase que vous avez citée n’est que l’expression d’une conviction, en soi respectable. Mais elle ne repose pas sur de nouvelles données scientifiques, de nouvelles études qui auraient été faites entre il y a cinq ans et aujourd’hui, et qui auraient contredit les précédentes. En tout cas, l’avis de l’Académie ne les cite pas. La seule chose qui a changé, c’est que l’ancien ministre de la Santé Jean-François Mattei, dont on connaît les convictions, a été élu vice-président de l’Académie de médecine pour 2019 et la présidera en 2020.
Le fait est que les quelques études dont nous disposons, et qui sont pour la plus large part anglo-saxonnes, concluent toutes que les enfants nés via une PMA, y compris dans les couples de femmes, ne présentent aucun trouble du développement. Il est vrai que certaines de ces études, qui sont d’ailleurs difficiles à réaliser, peuvent être partisanes, biaisées. Mais il en existe d’autres très solides. Je pense notamment à l’étude nationale longitudinale sur les familles lesbiennes (NLLFS), réalisée par une équipe à Boston. 77 enfants nés de femmes lesbiennes y ont été suivis de leur naissance à l’âge adulte : ils sont en tout point comparables aux enfants du groupe témoin.
Catherine Bergeret-Amselek : Attention tout de même avec ces études. Elles ne prennent en compte que le plan comportemental, mais ce n’est là que l’apparence. Les gens pensent qu’un enfant qui sourit, qui est sage, etc., est un enfant qui va bien. Pourtant, bien souvent, les enfants qui, dans leur inconscient, sont en souffrance, sont tout à fait souriants et sages.
Les études comportementales qu’évoque René Frydman ne nous montrent pas ce qui se passe au niveau inconscient, dans le psychisme de ces enfants. Qu’est-ce qui s’inscrit en eux de la différence des sexes ? Quelles représentations vont-ils se faire de cette question cruciale : comment fait-on les bébés ? De plus, que savons-nous des effets que ces parentalités paradoxales auront sur les générations suivantes ?
L’ouverture de la PMA aux femmes seules et homosexuelles pose des questions éthiques, politiques et cliniques. En tant que psychanalyste, je ne suis pas là pour ériger un point de vue normatif mais pour faire part des questions que je me pose. Notre ministre de la Santé déclare que le premier critère pour fonder une famille, c’est l’amour. Mais il n’y pas plus ambivalent que le désir d’enfant et l’amour, précisément, ne suffit pas.