Les débats se terminent mi-mars pour une synthèse attendue en avril. Une échéance et un programme ambitieux sous l’œil d’un collège de cinq garants chargés de veiller à l’« impartialité » et à la « transparence » de la démarche. Jouent-ils vraiment un rôle ? Lequel ?
Rappelons avant tout les différentes étapes du « Grand débat ». Une phase « participative » a commencé mi-janvier ; les personnes donnant leur opinion sur Internet (à la suite d’une réunion ou directement en ligne) ont jusqu’au 18 mars pour le faire. Pour les contributions écrites à la main (cahiers de doléances mis en place depuis décembre, courriers…), l’échéance était le 20 février. Une phase dite « délibérative » suivra, abordant les thèmes prioritaires à traiter ; elle se déclinera à travers 19 conférences régionales mobilisant près de 2000 citoyens tirés au sort (les 15/16 et 22/23 mars), ainsi que 4 conférences nationales regroupant organisations syndicales, patronales, associations… (les 11 et 13 mars). Enfin, deux débats ont été annoncés début avril à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les décisions du Gouvernement sont censées suivre en avril.
Des garants pas tout à fait autonomes
La mission d’organisation et de coordination du Grand débat est placée sous l’autorité du Premier ministre. Deux ministres la pilotent : Sébastien Lecornu et Emmanuelle Wargon. À leurs côtés, nos 5 garants* : Jean-Paul Bailly, nommé par le premier ministre ; Isabelle Falque-Pierrotin, choisie par Matignon ; Guy Canivet par le président de l’Assemblée nationale ; Pascal Perrineau par le président du Sénat et Nadia Bellaoui par le président du CESE. Ce « club des cinq » est indéniablement proche du Gouvernement puisque rappelons qu’après avoir évincé la CNDP** du pilotage opérationnel du Grand débat, le Gouvernement a essayé de garder Chantal Jouanno, sa présidente, comme « caution » ; elle y a renoncé, non pas donc à cause du scandale sur son salaire, mais à cause des intrusives exigences du gouvernement dans la mise en œuvre du Grand débat. Le gouvernement a donc repris la main et placé ses propres ouailles (moyenne d’âge : 63 ans). Parmi les deux prestataires chargés du travail considérable de synthèse des contributions, le cabinet Roland Berger*** a remporté fin 2018 un morceau du marché de la réforme de l’État.
Actifs… jusqu’à un certain point
Depuis le début de leur mandat, les garants se sont exprimés en invitant les médias (22 janvier et 14 février). Ils ont confié veiller au grain quant à l’« ouverture » du débat. Après avoir admis que les contributions en ligne étaient biaisées pour cause notamment de questions fermées et « excessivement orientées » (Pascal Perrineau), les garants ont notamment obtenu de la mission de faire apparaître les contributions libres en premier sur le site Internet du Grand débat (questions ouvertes). Notons au passage que ce défaut de formulation des questions est une habitude gouvernementale, bien rodée lors des États généraux de la Bioéthique. Les garants ont aussi recommandé que les conférences régionales (phase délibérative) puissent traiter de thèmes n’ayant pas émergé au niveau national… À voir comment cela se matérialisera dans un débat déjà aseptisé. Lors de la conférence de presse du 14 février, les garants annoncent encore aux médias vouloir écarter les membres des CESER**** lors des conférences régionales pour ne pas « déconsidérer » ces dernières ; notons qu’ils ne s’émeuvent pas de l’implication ostensible d’Emmanuel Macron dans le Grand débat… La consultation pré-Grand débat du CESE a de plus aiguisé la paranoïa des garants, qui se sont aussi voulus rassurants, le 14 février, quant à d’« éventuelles manipulations du débat » par des groupes de pression. Entre ce que veut le peuple et ce que boycotte le Gouvernement, où se situent-ils ?
Acteurs perdus d’un vaudeville confus
Le Grand débat se débat avant tout avec lui-même, et cela le rend inopérant. La masse des données issues des différentes sources à traiter (web, cahiers de doléances, réunions, individus, groupes…) pose de nombreux problèmes. Les garants pointent que sur les 900 000 contributions recueillies sur le site officiel (au 14 février), 650 000 sont issues de ces fameuses questions fermées. En outre, à la même date, seulement 600 réunions avaient fait l’objet d’une restitution en ligne (sur quelques 3000 ayant déjà eu lieu). Pourquoi ? Le site n’est pas adapté pour recueillir la richesse des contenus des réunions collectives… Bref, les restitutions sur Internet ne sont pas fiables. De plus, face à « l’hétérogénéité » des contributions, il ne pourra pas y avoir une seule synthèse, mais… plusieurs. Comment seront-elles exploitées et croisées ? Pour pallier les interférences calendaires entre la fin de la phase participative du Grand débat (18 mars) et la phase délibérative (les conférences), le gouvernement a avancé la mise à disposition d’une synthèse… « intermédiaire » (comprendre : l’engagement des délibérations à partir d’un traitement non total des données…) sur laquelle les garants s’interrogent.
Le 2 mars, Cédric Villani confiait sur France 2 que lors des États généraux de la bioéthique, le comité citoyen tiré au sort avait « rendu un excellent avis » et émis la « meilleure contribution » (par rapport aux contributions ouvertes à tous sur Internet). Le comité citoyen ? 22 personnes formées pendant 4 week-ends qui ont fini par rendre des avis très progressistes allant dans le sens de l’État. Dans le cadre du Grand débat, il se pourrait donc bien que les conférences régionales et nationales, « orchestrées » de près ou de plus loin par l’État, concentrent le fond du débat et que le tourbillon médiatique précédent ne soit que du marketing démagogique. Mobilisant cinq dindons de la farce.
SC
*Institués par un décret du 31 janvier auprès du Premier ministre.
**La Commission nationale du débat public, créée en 1995, est une autorité administrative indépendante.
***Cabinet allemand de conseil en stratégie
****Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, déclinaisons régionales du CESE
A retenir !
>L’ambition « participative » du Grand débat se heurte au défi logistique et chronologique du traitement des données, ce qui nous fait douter de sa réelle « utilité » (de plus, l’intelligence artificielle n’est pas sans limites).
>Les garants pointent sans conviction certains dysfonctionnements et paraissent dans le flou quant à la suite.
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