Image - Décryptage juridique – « Reconnaissance mutuelle de la parentalité »

Décryptage juridique – « Reconnaissance mutuelle de la parentalité »


Projet de la Commission européenne sur la reconnaissance de la parentalité entre États membres dans les situations familiales transfrontières

 

La Commission européenne a lancé depuis 2021 un projet de législation européenne sur la reconnaissance de la parentalité entre les États membres dans les situations transfrontières.

 

Voir les documents de la Commission Européenne :

 

Qu’est-ce que la parentalité ?

La filiation désigne le lien juridique qui unit un enfant à son père et à sa mère. La filiation a de nombreux effets en droit, à la fois pour l’enfant, notamment sur le nom de famille, les droits successoraux ou la nationalité, et pour les parents, notamment le droit de représenter légalement l’enfant.

La parentalité est un néologisme apparu à la fin du XXe siècle qui désigne l’exercice d’un rôle parental sans qu’il existe de lien biologique ou juridique, par exemple par le nouveau conjoint du père ou de la mère. Par extension, on l’emploie aussi pour désigner la prise en charge quotidienne des enfants, y compris par leurs parents, par exemple lorsqu’on parle d’aide à la parentalité, qui désigne en fait le soutien en matière d’éducation. La parentalité n’est pas un terme juridique, elle n’a aucun effet en droit.

Curieusement, la Commission emploie le terme de parentalité (parenthood en anglais), qui n’a pas de sens juridique, tout en parlant de reconnaissance par les États et d’effets qui appartiennent à la filiation. Interrogée par les associations Europe for Family et Juristes pour l’Enfance, la Commission a répondu qu’il fallait comprendre “filiation” lorsqu’elle écrivait “parentalité”[1].

Cette confusion volontaire s’explique par le fait que les groupes de pression LGBT appuient leurs revendications en matière de filiation sur les liens de parentalité existant entre eux et les enfants dont ils ont la charge[2] : si parentalité et filiation sont synonymes, le fait de reconnaître la parentalité emportera les effets juridiques de la filiation.

 

Pourquoi la Commission s’occupe-t-elle de ce sujet ?

La filiation est du ressort des États membres, pas de la compétence de l’Union européenne. Néanmoins, l’Union européenne peut agir en droit de la famille lorsqu’il y a une dimension transfrontière, par exemple des personnes de nationalités différentes ou résidant dans un autre pays que celui dont elles sont ressortissantes.

Faciliter, une fois la filiation établie dans un État membre, sa reconnaissance dans d’autres États membres est une mesure phare de la stratégie européenne pour l’égalité des personnes LGBT[3], annoncée par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le 16 septembre 2020 lors de son premier discours sur l’état de l’Union[4].

L’eurodéputée écologiste allemande Terry Reintke, coprésidente de l’intergroupe LGBTI du Parlement européen, a déclaré au magasine Slate : « Avec l’intergroupe LGBTI du Parlement, nous poussons pour une loi, ou a minima une reconnaissance automatique des documents légaux entre les États membres. (…) Nous pouvons utiliser la liberté de mouvement garantie par les traités pour faire avancer les choses. C’est notre point d’entrée sur ce sujet »[5].

Terry Reintke reconnaît : « L’UE a d’ailleurs fait progresser les droits LGBT+ dans de nombreux pays. … Elle peut et elle doit faire plus ».

 

Quel est le contenu du projet ?

Le contenu et la forme du projet, qui devrait être adopté d’ici janvier 2023, n’ont toujours pas été rendus publics. Même les membres du Parlement européen n’y ont pas accès[6].

Les objectifs du texte et certains éléments sont cependant connus. La Commission a publié en avril 2021 une analyse d’impact initiale[7], puis une consultation en ligne ouverte à tous de mai à août 2021 et son compte-rendu. En décembre 2021, elle a organisé une réunion avec les parties prenantes, c’est-à-dire les personnes directement impliquées dans les situations concernées, y compris celles qui en tirent des revenus. En revanche, les personnes et structures engagées dans la défense des droits des enfants qui avaient manifesté leur opposition au projet n’ont pu participer à cette réunion.

L’objectif du texte en projet est que la filiation établie dans un État membre soit reconnue dans tous les États membres afin d’éviter les difficultés auxquelles seraient confrontées les personnes dont le lien de filiation n’est pas reconnu, telles qu’absence de droit de représenter l’enfant ou difficultés pour voyager.

La reconnaissance de la filiation serait aussi un préalable nécessaire à l’application de règlements européens existants, comme ceux concernant les droits de garde et de visite ou les successions.

Il faudrait donc établir des règles communes sur les conflits de lois[8] et sur la reconnaissance des jugements en matière de filiation. Cela ne porterait pas atteinte à la compétence des États en droit de la famille et respecterait le principe de subsidiarité. Cela améliorerait la sécurité juridique et le respect des droits de l’enfant, en particulier son droit de circuler, et éviterait des procédures longues et coûteuses.

Dans l’étude d’impact, la Commission explique qu’en l’absence d’action de l’Union européenne, les citoyens pourraient seulement saisir la justice de leur pays en espérant une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne[9] mais note candidement que toutes les familles concernées par des difficultés de reconnaissance n’ont pas les moyens de s’engager dans des contentieux stratégiques : la Commission reconnaît donc que les affaires relèvent du contentieux stratégique, c’est-à-dire qu’elles sont montées en vue de faire évoluer le droit.

 

Quels sont les enjeux ?

En réalité, dans la grande majorité des cas, la reconnaissance de la filiation est une évidence et ne pose aucun problème. Les exemples présentés comme problématiques concernent des situations très particulières, comme des filiations à l’égard de deux personnes de même sexe ou à l’égard des commanditaires d’une gestation par autrui. De telles filiations sans ancrage dans la réalité sont illégales dans de nombreux pays, d’où le refus de les reconnaître.

La reconnaissance automatique instaurerait une prime au moins disant législatif et éthique, puisqu’il suffirait de se rendre dans l’État membre le plus libertaire puis de revenir dans son pays et de lui imposer de reconnaître une situation contraire à son ordre public.

L’étape suivante consistera inévitablement à pousser, voire contraindre, les États à modifier leur législation et légaliser le mariage de personnes de même sexe, la gestation par autrui etc. afin d’éviter les incohérences et les discriminations.

En conséquence, si un État décide d’autoriser la polygamie, tous les États membres seront obligés de reconnaître les mariages polygames : il suffira à un de leurs ressortissants d’aller se marier dans l’État membre qui les admet, puis de rentrer chez lui et de mettre ses autorités nationales devant le fait accompli. D’autres ressortissants auront alors beau jeu de crier à la discrimination et à l’injustice et d’exiger de contracter un mariage polygame sur place.

Si un État établit un acte de naissance à l’égard des commanditaires d’une gestation par autrui, y compris en l’absence de lien biologique, autrement dit en cas d’achat d’enfant, tous les autres devront reconnaître cet acte de naissance et, à terme, légaliser la gestation par autrui.

Si un État admet qu’un enfant peut avoir trois ou quatre parents, les autres devront l’admettre aussi.

Il en ira de même en cas d’inceste : si un État membre reconnaît la filiation incestueuse, les États qui, comme la France, interdisent d’établir une double filiation en cas d’inceste seront obligés de reconnaître une telle filiation.

 

Assimiler juridiquement la parentalité à la filiation et lui en attribuer les effets reviendrait à fonder la filiation non sur le critère objectif de la réalité biologique mais sur le critère subjectif de la volonté, qui peut être éphémère et changeante. Cela supprimerait donc toute sécurité juridique pour l’enfant et serait manifestement contraire à ses droits les plus élémentaires, notamment son droit à l’identité protégé par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.

Imposer, pour satisfaire un intérêt catégoriel, de reconnaître automatiquement n’importe quelle filiation établie dans un État membre, viderait de toute substance la compétence des États en matière de filiation, donc réduirait à néant leur souveraineté dans ce domaine, y compris ses implications sur l’attribution de la nationalité. De surcroît, cette reconnaissance validerait de graves violations des droits des enfants et des femmes et inciterait à multiplier les situations sources de ces violations dont le recours à la gestation pour autrui.

 


Notes et références :

[1]https://www.juristespourlenfance.com/2021/08/09/la-commission-europeenne-demande-de-lire-filiation-quand-elle-ecrit-parentalite/

[2] Renée Joyal, « Parenté, parentalité et filiation. Des questions cruciales pour l’avenir de nos enfants et de nos sociétés » §8, in Enfances, Familles, Générations, Numéro 5, automne 2006, §8 https://www.erudit.org/fr/revues/efg/2006-n5-efg1620/015778ar/

[3] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_2068.

[4] Afin de veiller à ce que nous soutenions l’ensemble de la communauté, la Commission proposera bientôt une stratégie visant à renforcer les droits des LGBTQI. Dans ce cadre, je plaiderai également en faveur de la reconnaissance mutuelle des relations familiales dans l’UE. Si vous êtes parent dans un pays, vous êtes parent dans tous les pays.” Ursula von der Leyen, discours sur l’état de l’Union, 16 septembre 2020 https://ec.europa.eu/info/strategy/strategic-planning/state-union-addresses/state-union-2020_fr

[5] Fabien Jannic-Cherbonnel, Mon Europe à moi : « Pourquoi n’y-a-t-il pas une reconnaissance des parentalités LGBT+ dans toute l’UE? » 24 décembre 2021 https://www.slate.fr/monde/mon-europe-moi/episode-2-mon-europe-moi-reconnaissance-parentalites-lgbt-union-europeenne-legislation-etats-membres

[6] Cf. la réponse de la Commission à la question écrite de plusieurs parlementaires :  https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-9-2021-005517-ASW_FR.html

[7] https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/12878-Situations-familiales-transfrontieres-reconnaissance-de-la-parentalite_fr

[8] C’est-à-dire pour savoir quelle loi appliquer quand la situation peut être régie par le droit de plusieurs pays.

[9] Ce qui s’est passée dans l’affaire CJUE 490/20 du 14 décembre 2021 : deux femmes, l’une bulgare l’autre britannique, mariées à Gibraltar et demeurant en Espagne, avaient obtenu un certificat de naissance indiquant les deux comme mères. Elles ont demandé un acte de naissance bulgare pour leur fille en vue d’un passeport, acte qu’elles n’ont pas obtenu car elles refusaient de dire laquelle était la mère biologique de l’enfant. La nationalité de l’enfant n’était pas contestée. Les tribunaux bulgares ont interrogé la CJUE qui a jugé que les autorités devaient lui procurer un passeport, indépendamment de l’acte de naissance.

S'inscrire à notre newsletter