Le 7 novembre 2018, la Cour de cassation a validé une décision de justice faisant prévaloir, dans l’intérêt d’un enfant, les liens du sang sur la « paternité » de celui qui l’élevait sans être son père biologique. Les enjeux de cette décision ne sont pas anodins ; nous vous expliquons pourquoi.
D’abord, une petite histoire. Nous sommes à Nîmes, en 2007. Une enfant naît d’un couple marié. Tout ce qu’il y a de plus banal. Sauf qu’en réalité cette enfant est la fille de l’amant de sa mère, et pas du mari de celle-ci. Quelques jours après la naissance, l’amant reconnaît l’enfant. Comme il ne peut pas faire transcrire cette reconnaissance en marge de l’acte de naissance, il assigne le couple marié en justice pour contester la paternité du père déclaré et établir sa propre paternité. En 2017, l’amant obtient satisfaction de la cour d’appel de Nîmes, expertise biologique à l’appui. C’est lui le père. La Cour de cassation vient de rejeter le pourvoi du couple marié, qui contestait cela, et de valider le raisonnement des juges de la cour d’appel : il est de l’intérêt de l’enfant de connaître sa filiation biologique ; ce sera au couple de l’aider à appréhender cette situation. Selon la Cour de cassation, la cour d’appel de Nîmes avait pris en considération le droit au respect de la vie privée de l’enfant et son « intérêt supérieur ». Deux points importants.
« Ton père n’est pas ton père »… Et tu as le droit de le savoir !
L’enfant de Nîmes était élevée par le couple marié, entourée d’affection, « dans une famille présentée comme stable et unie », nous précise le site Dalloz-étudiant, qui relate en détail l’affaire. Le droit au respect de la vie privée et familiale est garanti par la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH art. 8). Le couple marié s’est servi de ce droit pour contester la décision de la cour d’appel de Nîmes. Or, selon le site des éditions Francis Lefèvre, « dans une affaire similaire, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’une décision annulant le lien de filiation entre l’enfant et l’homme qu’il considère comme son père depuis plusieurs années ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, l’intérêt supérieur de l’enfant étant de connaître la vérité sur ses origines (CEDH 14-1-2016 n° 30955, M. c/France) ». L’argument du respect de la vie privé et familiale ne tient pas face aux enjeux de construction de soi qu’il y a dans la connaissance de ses origines.
La Convention des droits de l’enfant prise en compte
Le concept d’ « intérêt supérieur de l’enfant » est issu de la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée par l’ONU le 20 novembre 1989 ; celle-ci est faite pour protéger les droits des enfants dans le monde, et améliorer leurs conditions de vie. L’enfant y devient « sujet de droit », alors qu’avant il n’était qu’« objet ». La cour d’appel de Nîmes a statué dans le respect des exigences de l’article 3 (paragraphe 1) de cette convention internationale*. Même si la notion d’« intérêt supérieur de l’enfant » est un principe d’interprétation, une Cour de justice française s’est ainsi référée à cet article et à cette convention (ratifiée par tous les pays sauf les États-Unis). Les débats actuels et futurs, notamment sur la potentielle ouverture en 2019 de la PMA « à toutes les femmes » (c’est-à-dire aux femmes seules ou formant un couple avec une autre femme) et ce qui s’en suivrait au nom du principe d’égalité (GPA pour les hommes) relèvent d’un droit À l’enfant au mépris total du droit DE l’enfant… Quelle place donnera-t-on alors à la convention de l’ONU et à l’intérêt supérieur de l’enfant à savoir d’où il vient ? Drôle de société où nous sommes contraints d’argumenter sur le bon sens et l’évidence… « Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens » (proverbe africain).
SC
*« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
À retenir
>Le droit de l’enfant prévaut sur celui que s’arrogent les adultes.
En novembre 2018, la Cour de cassation a tranché en ce sens en se référant à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant et à la notion d’« intérêt supérieur » : elle a validé l’importance pour un enfant d’avoir connaissance de ses liens du sang.
>Respect de la vie privée et familiale : la forme ne prévaut pas sur le fond.
Le respect de la vie privée et familiale est un argument qui ne tient pas face à la souffrance que pourrait ressentir un enfant à ignorer ses origines (Validation par la Cour de cassation, le 7 novembre 2018, d’un jugement allant dans ce sens ; jugement de la Cour européenne des droits de l’homme, 14 janvier 2016).